Les pathologies de la perte linguistique – Bases théoriques
Les pathologies susceptibles d’apparaître se répartissent sur deux registres :
- Celui lié à la contradiction identitaire due à la situation paradoxale : on y trouve surtout les troubles psychiatriques, les pathologies du narcissisme, toutes les conduites addictictives et la toxicomanie.
- Celui produit par la transformation du locuteur régional lors de l’acquisition d’une identité adaptative, d’une néo-identité. C’est l’ensemble des pathologies dites psychosomatiques et des atteintes lésionnelles.
Les pathologies du premier registre sont sous tendues par l’ensemble des études sur les effets pathologiques d’une situation paradoxale :
- Les travaux de Bateson (1936-1942) et des chercheurs de Palo-Alto (1959) sur l’interaction paradoxale et ses effets schizophrénogènes. Dans cette théorie, un concept deviendra central : celui de « double contrainte » (1956). Le sujet pris dans une situation de double contrainte, comme le locuteur régional, voit sa santé mentale mise en péril.
- Le psychanalyste Harold Searles, dans un article « l’effort pour rendre l’autre fou » (Searles, 1965), montre comment certaines conjonctures peuvent altérer le fonctionnement mental.
- L’instauration de toute interaction interpersonnelle qui tend à favoriser un conflit affectif chez l’autre – qui tend à faire agir les unes contre les autres différentes aires de sa personnalité – tend à le rendre fou (c’est-à-dire schizophrène). (Searles, 1965, p 157)
- D’autres psychanalystes (Racamier, Anzieu, Roussillon, etc.) ont attesté l’effet délétère d’une communication paradoxale.
- Les données cliniques en psychosomatique relationnelle mettent en évidence les effets pathologiques des différentes formes d’impasse relationnelle. Or c’est bien dans une impasse que se trouve le locuteur parlant sa langue maternelle car quelque soit la solution, il va être puni.
Les pathologies du deuxième registre se rapportent au concept « d’alexithymie » : En effet, les personnes atteintes d’alexithymie se trouvent en difficulté dans quatre domaines :
1. Incapacité à identifier et à exprimer verbalement leurs émotions et leurs sentiments ;
2. Limitation de la vie imaginaire.
3. Pensée à contenu pragmatique, très descriptive, sans véritable élaboration ;
4. Recours à l’action pour éviter les conflits ou exprimer les émotions.
En médecine, l’alexithymie et le stress durable sont actuellement reconnus pour être à l’origine de pathologies somatiques, (ceci également par le biais d’une dépression essentielle).
Atteinte de la dimension affective et de la mémoire
Émotions et affects
Le travail de la linguiste Aneta Pavlenko (Pavlenko, 2005) confirme que les gens expriment naturellement leurs émotions dans la langue maternelle – elle correspond à la « langue du cœur » – alors que, dans les langues secondes, souvent apprises mécaniquement à l’école, ils s’expriment d’une manière plate et froide.
Ce sont les mots prononcés par la figure maternelle qui vont relier les sensations physiques de l’enfant aux représentations émotionnelles. Ces mots vont servir à identifier les émotions et à les communiquer. Si ces mots manquent, sont inadéquats ou étrangers, tout se passe comme si, plus tard, la personne ne pourra prendre conscience ni exprimer ses émotions.
La psychologue Sylvie Berthos montre que « Si les parents ne donnent pas assez d’indices verbaux à l’enfant au fil des émotions qu’il éprouve, ce dernier peut être confronté à un manque de mots, qui reflète une carence de sentiments identifiés. Plus tard, il est probable qu’il se réfèrera systématiquement à ses sensations corporelles sans pouvoir faire accéder la sensation au plan des états mentaux, du cortex, du langage. (Berthos, 2011, p 92)
Mémoire
L’accessibilité aux souvenirs d’enfance serait plus facile quand elle fait intervenir la qualité émotionnelle des situations mémorisées. Il y a une dépendance linguistique de la mémoire, (Marian, Neisser, 2000).
L’environnement linguistique agit sur la manière dont les sujets se souviennent de certains faits, et les psychologues de l’université de Stanford aux États-Unis montrent que la langue maternelle façonne les souvenirs et « aurait un effet plus profond sur la mémoire que ce qui a été observé jusqu’à présent » (Arnould, 2010).
Subjectivité
L’abandon de la langue première touche non seulement la mémoire mais l’ensemble de la subjectivité d’un individu, sans compter les effets préjudiciables de l’usage exclusif d’une seule langue.
Une étude réalisée en 2010 par la psychologue Ellen Bialytok et son équipe de l’Université York de Toronto sur l’histoire de la santé mentale de sujets déments, de niveau socioprofessionnel comparable, suggère que le bilinguisme pourrait retarder le déclenchement de la démence (Westly, 2011).
D’autres recherches conduisent à penser que le bilinguisme contribuerait à préserver les fonctions cognitives chez les malades atteints de maladie d’Alzheimer et contribuerait à une meilleure défense contre le vieillissement cérébral et les déficits cognitifs.