La Honte
- Le psychiatre Borys Cerulnick fait de la honte, le plus sûr moyen de ne pas dire, de ne pas transmettre. Et la honte sera l’affect retrouvé à tous les plans de l’entreprise de réduction[1] linguistique.
- À cause du sentiment de honte, le locuteur occitan va réprimer activement l’usage de sa propre langue maternelle jusqu’au moment où il n’aura plus cet effort à faire, cette dernière s’éclipsera naturellement derrière le français.
- Selon le psychanalyste Serge Tisseron, la honte est une atteinte de tous les liens que peut tisser une personne, elle est une menace de dissolution de l’existence humaine. En effet, la perte se produit sur les trois piliers qui fondent son identité :
- L’estime de soi,
- Les liens affectifs
- Et le sentiment d’appartenance.
- C’est ce dernier sentiment qui distingue la honte de la culpabilité car, au contraire du sujet coupable, le sujet honteux se dissocie du groupe auquel il appartient.
- Il ressent à la fois une perte de sa valeur, a la sensation de ne pas être reconnu affectivement et de n’intéresser personne. Il se coupe alors des autres. Mais la honte impose aussi une fracture supplémentaire à la personnalité et entretient la rupture initiée par le paradoxe linguistique.
- La honte est la conséquence de l’entreprise de disqualification et de stigmatisation de la langue régionale depuis le début de la volonté d’imposer une langue hégémonique. Dans une étude réalisée en 2000, Marie-Jeanne Verny sur les Images et représentation des élèves montre que les réponses des élèves lient la langue occitane à l’absence d’instruction, l’ignorance et l’archaïsme comme cela était le cas en 1793[2]. Une langue parlée par les paysans ou les personnes des couches populaires de la société. L’occitan est lié à la pauvreté, aux couches populaires (par opposition aux bourgeois et habitant des villes). S’il s’agit le plus souvent de l’expression évidente d’un mépris de classe […] (Verny, 2001, p 348)
- Nul doute sur la fonction de ces représentations culturelles traversant les époques, elles sont destinées à produire un sentiment de honte chez l’occitanophone.
Les effets pathologiques de la perte de la langue maternelle
Le Professeur Jean-Jacques Kress, psychiatre au CHU de Brest, s’est intéressé, dès 1984, aux effets psychiques de la perte de la langue maternelle sur la population de deux régions de France, l’Alsace et la Bretagne.
Il établit un rapport entre la morbidité retrouvée dans la collectivité bretonne et l’abandon de la langue maternelle. Cette morbidité se compose de :
1- des troubles addictifs,
2 – une prévalence à l’alcoolisme,
3 – une augmentation accrue des dépressions et des suicides,
4 – et une propension à la violence.
Plusieurs études réalisées en 1985, 1992 et 1994 révèlent que l’alcoolisme aigu et chronique et la dépression viennent en tête des motifs d’admission dans les hôpitaux de Bretagne.
Pour comprendre ces troubles, il s’appuie sur le concept de traumatisme développé par le Professeur de psychiatrie Théophile Kammerer, Kress fait référence à des microtraumatismes répétés au travers des générations depuis l’imposition du monolinguisme en France.
- Le docteur Philippe Carrer, psychiatre spécialiste de la civilisation bretonne, dans ses « nouvelles études d’ethnopsychiatrie en Bretagne », relie aussi de façon indirecte :
- Certains troubles morbides, comme la dépression et la prévalence au suicide[3],
- avec la désagrégation des liens communautaires et la perte de la langue maternelle.
- J-J Kress note chez les personnes qui ont renoncé à parler leur langue régionale une grande difficulté d’expression dans 3 domaines :
- L’affectivité
- Les relations interhumaines,
- La sensibilité individuelle. (Kress, 2001)
Le psychiatre fait alors référence au concept psychosomatique « d’alexithymie », élaboré par Peter Sifneos en 1973 et John Nemiah en 1975, pour décrire les conséquences psychiques de la perte de la langue : une perte collective et intergénérationnelle.
[1] Par réduction, il faut entendre l’interdiction de la langue première et l’imposition d’une langue officielle.
[2] Devant le Comité de l’instruction publique, l’abbé Henri-Baptiste Grégoire qualifiait, les langues régionales « d’idiomes grossiers, qui prolongent l’enfance de la raison et la vieillesse des préjugés. » Voir Histoire du français, Chapitre 8, La Révolution française, la langue nationale (1789-1870) – http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s8_Revolution1789.htm
[3] La Bretagne est en effet – et de très loin – la région où le taux de décès par suicide est le plus important. Ce taux est en effet supérieur de 47,7% au taux moyen de la France.